« RÉSISTANCE A L’OPPRESSION », est l’un des documents fondateurs de la division d’Haïti en deux États après l’indépendance de 1804. Il s’agit d’une proclamation révolutionnaire datée du 17 octobre 1806, publiée à Port-au-Prince, le jour même de l’assassinat de l’empereur Jean-Jacques Dessalines.
Resistance à l’oppression
Une affreuse Tyrannie exercée depuis trop long-tems sur le Peuple et l’Armée, vient enfin d’exaspérer tous les esprits et les porter par un mouvement digne du motif qui le fit naître à se lever en masse pour former une digue puissante contre le torrent dévastateur qui le menace. Un complot ourdi dans le calme de la réflexion allait bientôt éclater ; les hommes susceptibles de penser, ceux capables enfin de faire triompher les sublimes principes de la vraie Liberté dont ils sont les défenseurs, devaient disparaître pour toujours ; une marche rapide vers la subvertion totale, effrayait déjà même l’homme le plus indifférent ; tout semblait annoncer que nous touchions au moment de voir se renouveler ses scènes d’horreur et de proscription, ces cachots, ces gibets, ces bûchers ces noyades dont nous étions les tristes et malheureuses victimes sous le gouvernement inique des Rochambeau, des Darbois, des Ferrand des Berger, etc. etc.
Moins touché du bonheur de ses peuples qu’avide à ramasser, le chef du gouvernement fit dépouiller injustement de leurs biens, des milliers de familles qui sont en ce moment réduites à la plus affreuse misère, sous le prétexte apparent, qu’elles ne pouvaient justifier de leurs titres de propriétés, mais dans le fait, pour augmenter ses Domaines ; n’est-il pas constant qu’après avoir joui depuis 10, 20 et 30 ans d’un bien, on devait en être supposé le véritable propriétaire ? Dessalines ne l’ignorait pas, il était persuadé même que ces Citoyens avaient perdus leurs titres dans les derniers événemens il en profita pour satisfaire sa cupidité. D’autres petits propriétaires furent arrachés inhumainement de leurs foyers et renvoyés sur les habitations d’où ils dépendaient, sans avoir égard ni à leur âge, ni à leur sexe. Si des considérations particulières ou des vues d’intérêt général pouvaient autoriser cette mesure qui parait avoir été adoptée par les gouvernemens précédents, au moins était-il juste d’accorder une indemnité, à ceux sur lesquels on l’exerçait.
Le Commerce, source de l’abondance et de la prospérité des États, languissait sous cet homme stupide, dans une apathie dont les vexations et les horreurs exercées sur les étrangers, ont été les seules causes. Des cargaisons enlevées par la violence, des marchés aussitôt violés que contractés, repoussaient déjà de nos ports tous les bâtimens ; l’assassinat de Thomas Thuat, Négociant Anglais, connu avantageusement dans le pays par une longue résidence, par une conduite irréprochable et par des bienfaits, a excité l’indignation : et pourquoi ce meurtre ? Thomas Thuat était riche, voilà son crime.
Les Négocians Haytiens ne furent pas mieux traités, les avantages même qu’on avait l’air de vouloir leur accorder, n’avaient été calculés que sur le profit que l’on pouvait en retirer, c’étaient des fermiers que pressuraient des commis avides.
Toujours entraîné vers ce penchant qui le porte au mal, le chef du gouvernement, dans la dernière tournée qu’il fit, désorganisa l’Armée ; sa cruelle avarice lui suggéra l’idée de faire passer les militaires d’un corps dans un autre, afin de les rapprocher de leur lieu natal pour ne point s’occuper de leur subsistance, quoiqu’il exigeât d’eux un service très assidu. Le soldat était privé de sa paye, de sa subsistance, et montrait par tout sa nudité, tandis que le Trésor public fournissait avec profusion des sommes de 20,000 gourdes par an, à chacune de ses concubines, dont on en peut compter au moins une vingtaine, pour soutenir un luxe effréné qui faisait en même tems la honte du gouvernement, et insultait à la misère publique.
L’empire des lois ne fut pas non plus respecté ; une Constitution faite par ordre de l’Empereur, uniquement pour satisfaire à ses vues, dictée par le caprice et l’ignorance, rédigée par ses secrétaires, et publiée au nom des Généraux de l’Armée qui, non seulement n’eurent jamais approuvé ni signé cet acte informe et ridicule, mais encore n’en eurent connaissance que lorsqu’elle fut rendue publique et promulguée.
Les lois réglementaires formées sans plans et sans combinaisons, et toujours pour satisfaire plutôt à une passion que pour régler les intérêts des Citoyens, furent toujours violées et foulées aux pieds par le Monarque lui même ; aucune loi protectrice ne garantissait le Peuple contre la barbarie du Souverain ; sa volonté suprême entraînait un Citoyen au supplice sans que ses amis ses parens n’en pussent connaître les causes. Aucun frein n’arrêtait la férocité de ce tigre altéré de sang de ses semblables ; aucune représentation ne pouvait rien sur ce cœur barbare, pas même les sollicitations de sa vertueuse Épouse, dont nous admirons tous les rares qualités.
Les Ministres dont la Constitution (si cet acte peut être qualifié de ce nom) avait déterminé les fonctions, ne purent jamais les exercer pour le bonheur du Peuple ; leurs plans et leurs représentations furent toujours ridiculisés et rejetés avec mépris, leur zèle pour le bien public en général et pour celui de l’Armée en particulier, fut par conséquent paralysé.
La culture, cette première branche de la fortune publique et particulière, n’était point encouragée, et les ordres du chef ne tendaient qu’à faire mutiler les malheureux cultivateurs : était-il sage enfin d’arracher à cette culture des bras qui la fructifiaient pour grossir sans besoin le nombre des troupes qu’on ne voulait ni payer, ni nourrir, ni vêtir, lorsque déjà l’Armée était sur un pied respectable ?
Tant de crimes, tant de forfaits, tant de vexations ne pouvaient rester plus longtems impunis, le Peuple et l’Armée lassés du joug odieux qu’on leur imposait, rappelant son courage et son énergie, vient enfin par un mouvement spontané, de le briser. Oui, nous avons rompu nos fers ; Soldats, vous serez payés, habillés ; Cultivateurs, vous serez protégés ; Propriétaires, vous serez maintenus dans la possession de vos biens ; une Constitution sage va bientôt fixer les droits et les devoirs de tous.
En attendant le moment où il sera possible de l’établir, nous déclarons que l’union, la fraternité et la bonne amitié, étant la base de notre réunion, nous ne déposerons les armes, qu’après avoir abattu l’arbre de notre servitude et de notre avilissement ; et placé à la tête du gouvernement un homme dont nous admirons depuis longtems le courage et les vertus, et qui comme nous, était l’objet des humiliations du Tyran ; le Peuple et l’Armée dont nous sommes les organes, proclament le Général Henry Christophe, Chef provisoire du Gouvernement Haytien, en attendant la Constitution, en lui conférant définitivement ce titre si elle en ait désigné la qualification.
Donné en Conseil, à notre Quartier Général du Port-au-Prince, le 16 Octobre 1806, an 3me. de l’indépendance, et de la vraie Liberté le premier.
Signé :
Le Ministre de la Guerre et de la Marine, Et. Gérin ;
le Général Commandant la 2e. Division de l’Ouest, Pétion ;
Yayou, Vaval, Généraux de Brigade ;
l’Adjudant Général Chef d’État-Major, Bonnet ;
Marion, Verret, Adjudans Généraux ;
Francisque, Lamarre, Sanglaou, Colonels ;
Boishlanc, Masson, Dérénoncourt, Chefs de Division ;
Démarate, Hilaire, Maréchal, J. B. Franc, Clermont, Quique, Isidor, Romain, Alexis Lemau, Metellus, Adam, J. Ch. Cadet, Mentor, Léveillé, Levéque, Lespérance, Clefs de Bataillon ;
Lys, Chef de Bataillon d’artillerie ;
Dieudonné, Commandant provisoire au Port-au-Prince ;
Pasticn, Baude, Delaunai, Tarvier, Chevallier, Jean Lang, Chefs d’Escadron ;
Pitre aîné, Administrateur ;
Uiervain, Commissaire es Guerres ;
Noël, Président du Tribunal de Commerce ;
Moreau, Président du Tribunal Civil ;
Fresnel, Commissaire du Gouvernement ;
Perdriel, Jeanton, Linard, Médor, Séac, Jeanton aîné, Juges.
Suivi d’un grand nombre de Signatures.
Au Port-au-Prince, de l’Imprimerie de Fourcand.
Source officielle :
Bibliothèque nationale de France – Réserve des livres rares, FOL-PU-13
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k316883v
Document physique : 1 placard in-folio, imprimé recto uniquement, daté 16 octobre 1806
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