Au Ministre de la Marine et des Colonies
Fort de France le 26 may 1806
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint le rapport qui m’a été adressé par M. Robertot Lartigue, agent de la République à Saint-Thomas, en date du 10 may 1806, et qui contient des renseignemens très graves sur les projets de Dessalines contre les colonies françaises des Antilles.
Ce rapport, corroboré par d’autres sources, démontre clairement que le général en chef de Saint-Domingue (c’est ainsi que Dessalines se fait appeler) prépare activement une expédition contre la Martinique, la Guadeloupe et Marie-Galante, avec l’intention de soulever les esclaves et de détruire nos établissemens.
Voici les principaux points du plan, tels qu’ils ont été révélés par des émissaires capturés et des correspondances interceptées :
1° Depuis les mois d’octobre et novembre 1805, Dessalines a envoyé plusieurs agens secrets dans les îles françaises, sous couvert de commerce ou de pêche.
2° Ces agens ont pour mission de propager l’idée de la liberté générale, en s’appuyant sur l’exemple de Saint-Domingue, et de préparer les esprits à une insurrection générale.
3° Le signal du soulèvement doit être donné par des incendies simultanés dans les villes et les habitations, pendant la nuit.
4° Huit à dix corsaires haïtiens, armés en guerre, doivent attaquer les côtes, débarquer 3 000 hommes bien équipés, et soutenir les insurgés.
5° Des cadres militaires et civils ont été formés à Saint-Domingue, portant les noms de « Martinique » et « Guadeloupe », pour organiser les forces locales après le soulèvement.
6° Les esclaves révoltés doivent massacrer les Blancs, s’emparer des armes, et proclamer l’indépendance sous la protection de Dessalines.
Ces projets, Monsieur le Ministre, ne sont pas de simples rumeurs. Ils sont confirmés par des déclarations concordantes de plusieurs individus arrêtés à Sainte-Lucie, Dominique et Saint-Thomas, et par des lettres saisies sur des bâtimens haïtiens.
La situation est d’autant plus alarmante que la population noire de nos colonies, excédée par les rigueurs de l’esclavage, est prête à se soulever au premier signal. Les incendies récens à Trinité (île espagnole voisine) et les mouvemens suspects dans nos campagnes confirment cette disposition.
J’ai pris, de mon côté, toutes les mesures possibles :
- Renforcement des garnisons côtières
- Création de patrouilles nocturnes
- Arrestation préventive de plusieurs individus suspects
- Interdiction formelle aux bâtimens haïtiens d’approcher nos côtes
Mais ces moyens sont insuffisans. Il me faudrait au moins 2 000 hommes de renfort, des canonnières pour garder les rades, et l’autorisation de déporter les individus les plus dangereux.
Je vous supplie, Monsieur le Ministre, de porter cette affaire à la connaissance de Sa Majesté l’Empereur, et de prendre les mesures les plus énergiques pour sauver nos colonies d’une catastrophe imminente.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mon respect le plus profond.
Villaret Joyeuse
Capitaine général des îles du Vent
Commandant en chef des forces de terre et de mer
Saint-Thomas, le 10 mai 1806
Monsieur le Capitaine général,
J’ai l’honneur de vous informer que, d’après des renseignemens certains, Dessalines prépare une expédition contre les îles françaises.
Des émissaires ont été envoyés depuis octobre dernier dans la Martinique, la Guadeloupe et Marie-Galante.
Leur mission est de soulever les esclaves en leur promettant la liberté.
Le signal sera donné par des incendies.
Huit à dix corsaires, armés de 12 à 18 canons, doivent attaquer les côtes.
3 000 hommes bien équipés débarqueront pour soutenir l’insurrection.
Des cadres portent déjà les noms de Martinique et Guadeloupe.
Je joins copie d’une lettre interceptée à un nègre de la Trinité.
Robertot Lartigue
Agent de la République
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