
NB : Cet article fait partie de la rubrique Les Cahiers de la Refondation, il a été rédigé dans le but de donner une vision plus claire de l’article 3 de l’Avant-projet de Constitution de juin 2025 proposée par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ)
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Auteurs : Woldenskee Minviel & Éditeur web : Godson Moulite
Resumé
Cet article présente les grandes lignes de l’article 3 de l’avant-projet de Constitution de 2025 proposé par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ), visant à refonder la citoyenneté haïtienne. Il insiste sur une citoyenneté fondée sur l’égalité, la sécurité et la dignité. Face à l’insécurité, la corruption généralisée et la faillite de l’État, le texte propose de restreindre les droits civiques des individus représentant un danger public et d’imposer à l’État des obligations, sous peine de révocation par le peuple.
Il prône aussi une inclusion accrue de la diaspora haïtienne, en élargissant la nationalité haïtienne au droit du sol (jus soli) et en reconnaissant la double nationalité, avec des droits politiques pleins pour les Haïtiens de l’étranger. Sur le plan social, le projet renforce l’accès universel à la santé, à l’éducation, au logement et à la protection sociale.
Enfin, la citoyenneté devient plus exigeante et participative : les citoyens pourraient proposer des lois et devenir de véritables acteurs de la vie publique. Ce projet vise ainsi à construire une République plus juste, solidaire et démocratique, en redéfinissant la relation entre l’État et le citoyen
Une citoyenneté fondée sur l’égalité, la dignité et la sécurité
S'il est dit dans la declaration universelle des droits de l’humain que tous les humains naissent libres et égaux en dignité et en droit, il n’en est pas le cas dans la réalité haïtienne(haytienne). En Haïti l’égalité, même devant la loi est chimérique, les avocats et les juges sont pour la plupart corrompus et favorisent certains citoyens dans les jugements au detriment d’autrui et de la loi, ouvrant ainsi une normalisation systématique de la corruption.
Des données récentes de Trading Economics révèlent qu’Haïti est classé 13e pays le plus corrompu au monde en décembre 2024, avec un score de seulement 16 sur 100 à l’Indice de perception de la corruption. De plus, la situation sécuritaire en Haïti en 2025 est catastrophique. Selon les Nations Unies, environ 85 à 90 % de Port-au-Prince est sous le contrôle de gangs armés. Plus de 5 600 personnes ont été tuées et 2 200 blessées en 2024, et près de 4 900 décès supplémentaires ont été enregistrés entre octobre 2024 et juin 2025 (ONU, 2025). Cette crise affecte profondément les droits humains fondamentaux : moins de 25 % des hôpitaux sont fonctionnels (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, 2024), les écoles ferment, et 5,7 millions de personnes vivent en insécurité alimentaire, dont plus de 8 400 en situation de famine (Integrated Food Security Phase Classification, 2024; World Food Programme, 2024).Pour remédier à ce problème, la première section de l’article 3 en plus de réitèrer les principes de la Déclaration universelle des droits humains introduit des restrictions pour toute personne portant atteinte aux droits fondamentaux des citoyens.
D’autant plus, dans un pays comme Haïti, l’exigence de sécurité devient indissociable de la reconnaissance des droits car avoir des droits n’est pas suffisant : il faut aussi pouvoir les protéger et vivre dans un cadre sécuritaire où l’État garantit leur application effective. Face à cette urgence, l’Assemblée Nationale de la Jeunesse propose dans son avant-projet que : “toute personne portant atteinte aux droits fondamentaux d’un autre citoyen peut être considérée comme un danger public”. En conséquence, cette dernière pourrait avoir sa citoyenneté pleine être réduite à une citoyenneté de second degré lui donnant des restrictions en matière de droits civiques et politiques. Une mesure qui pourrait porter débat et agitation au sein du public, mais qui dans la pratique est nécessaire pour garantir la sécurité nationale et favoriser une sécurité collective axée sur la responsabilité individuelle.
Cependant, l’égalité ne saurait rester un principe défendu collectivement. Elle ne sera effective que si l’État et les institutions publiques jouent pleinement leur rôle. C’est encore dans cette optique que l’article 4 introduit un nouveau principe fondamental de l’État ce dernier donne à l’État des devoirs fondamentaux comme les citoyens. Pour affermir cette disposition nous proposons aussi que si l’Etat ne répond pas à ses devoirs le peuple aura les pleins droits de le destituer. Cette mesure vise à établir un cadre clair de responsabilité et d’action publique en faveur du bien commun.
Une nationalité ouverte, une diaspora reconnue
Avec une population de 11 millions de personnes (IHSI,2025), près de 2 millions d’Haïtiens vivent à l’étranger (Théodat, 2024) soit 31 % de la population, dont 1,2 million aux États-Unis dont 852 000 nés en Haïti (Camarota, 2024). Cette situation est caractérisée par les catastrophes naturelles subies par Haïti depuis 2010, mais aussi par la mauvaise gouvernance et le manque de ressources humaines qualifiées pour diriger le pays vers la prospérité. Selon un rapport du Center for Strategic and International Studies (CSIS), 80 % des Haïtiens titulaires d’un diplôme universitaire vivent à l’étranger (CSIS, 2011). De plus, 85 % la proportion des jeunes diplômés qui quittent le pays après leurs études (Bajeux-Bazile, 2020). Cela démontre que non seulement 31 % de la population haïtienne ne vit pas en Haïti, mais aussi que 85 % de son élite intellectuelle est en terre étrangère.
Avec cette réalité dévastatrice, il est plus que nécessaire d’accorder à la diaspora haïtienne des pleins droits et devoirs, et de renforcer tous les liens possibles entre la diaspora et la patrie. Sinon, il sera difficile d’espérer une Haïti meilleure. La citoyenneté haïtienne est restée archaïque depuis plus de 200 ans. Les pères fondateurs ont créé une haïtianité fondée sur le droit du sang (jus sanguinis) et non sur le droit du sol (jus soli), ce qui était en grande partie dû au passé colonial du pays et à son symbole de liberté. Mais aujourd’hui, on est dans une autre réalité. 31 % de la population haïtienne vit à l’extérieur du pays en raison d’insécurité physique et économique. L’État haïtien, jusqu’à présent, ne prévoit aucun moyen pour ces gens d’exercer leurs droits et devoirs. Ils sont complètement effacés de la scène politique active haïtienne.
En guise de solution à ce problème, l’Avant-projet de mai 2025 avait déjà ouvert la voie en reconnaissant explicitement le droit de vote, d’éligibilité et l’exercice de fonctions publiques aux Haïtiens vivant à l’étranger. Ce qui est considéré comme une avancée démocratique majeure comparativement à la Constitution de 1987 amendée. Mais cela n’est pas suffisant. C’est dans cette optique que l’ANJ veut renforcer cette inclusion politique en proposant d’élargir la nationalité haïtienne du jus sanguinis au jus soli, ce qui signifie que toute personne née sur le territoire haïtien serait automatiquement haïtienne, peu importe si elle est née d’un Haïtien ou non.
Avec ce principe, on espère que, de la même manière que cela a permis aux États-Unis de bâtir une nation inclusive, dynamique et prospère en accueillant des cadres de tous les coins du monde, cette mesure pourrait permettre à Haïti de retirer les barrières discriminatoires liées à l’origine et à la nationalité, pour avancer dans une direction de développement synergique. En plus de cela, nous proposons également que la double nationalité soit pleinement reconnue, permettant aux Haïtiens vivant à l’étranger de conserver l’intégralité de leurs droits civiques, y compris celui de voter. Ce choix de reconnaissance de la diaspora n’est pas symbolique, mais profondément stratégique. Il consacre aux Haïtiens à double nationalité leur participation directe à la vie publique (à l’exception des hautes fonctions définies par la loi), et répond aux appels de longue date pour une véritable inclusion politique des Haïtiens de l’extérieur.
Le droit législatif, une avancée démocratique majeure
L’élection de Jean-Bertrand Aristide a représenté, pour une majorité d’Haïtiens, un tournant historique vers la démocratie. Pour beaucoup, c’était la première fois que la voix du peuple s’exprimait réellement à travers les urnes. Toutefois, si le vote est un acquis démocratique fondamental, il ne garantit pas une démocratie effective. En effet, une fois qu’un candidat est élu, le peuple haïtien perd souvent tout pouvoir d’influence directe sur la conduite des affaires publiques. Or, dans une démocratie réelle, le vote ne peut être le seul levier d’action du citoyen. Suivant cette logique, l’article 3, section 4 de l’Avant-projet de Constitution de 2025 propose d’introduire un droit législatif citoyen. Cela signifie que tout citoyen haïtien, à condition de respecter certaines exigences définies par une future loi organique, pourrait formellement proposer des projets de loi au Parlement. Cette disposition vise à renforcer la participation directe du peuple dans la construction des politiques publiques.
Cette proposition s’inspire de modèles internationaux déjà bien établis. En Suisse, les citoyens disposent du droit d’initiative fédérale, qui leur permet de proposer une modification de la Constitution en rassemblant 100 000 signatures en 18 mois (Chancellerie fédérale suisse, 2025). Ce mécanisme est l’un des piliers de la démocratie directe suisse, et il permet une participation continue des citoyens dans le débat politique. De même, aux États-Unis, bien que ce droit n’existe pas au niveau fédéral, plusieurs États, comme la Californie ou l’Oregon, permettent aux citoyens de soumettre des initiatives populaires qui peuvent devenir des lois si elles sont approuvées par référendum (ShareAmerica, 2025). Ce type de démocratie participative directe permet au peuple de rester acteur de la vie politique entre deux élections.
Dans le contexte haïtien, une telle réforme serait une innovation démocratique majeure. Elle viserait à corriger un déséquilibre où le citoyen est souvent cantonné à un rôle de spectateur, et rarement acteur. Le droit de proposer des lois représente ici un levier important pour instaurer une relation plus équilibrée entre gouvernés et gouvernants, en redonnant au peuple la capacité de participer à l’élaboration des politiques qui orientent sa vie quotidienne
Des droits sociaux élargis : vivre dignement
À l’image du texte de mai 2025, l’article III du projet de Constitution de l’Assemblée Nationale de la Jeunesse consacre des droits sociaux essentiels comme le droit à la santé, au logement, à l’éducation, à la sécurité sociale, à l’alimentation. Mais il va encore plus loin :
· Il impose à l’État la mise en place d’un système universel de soins, avec des hôpitaux, dispensaires et centres de santé dans toutes les collectivités territoriales.
· Il introduit un droit à l’éducation complète et gratuite, incluant le matériel scolaire, l’enseignement agricole et technique, et un accès équitable aux études supérieures dans toutes les régions.
· Il garantit la protection spéciale des personnes à besoins spéciaux et intensifie les campagnes d’alphabétisation.
Avec ces avancées nous voulons surtout marquer une transition de l’État libéral et irresponsable haitien vers un État social haytien, assumant pleinement sa mission de garantir la dignité et la sécurité humaine en protégeant ses droits fondamentaux.
Une citoyenneté active, exigeante et solidaire
En donnant plus de droits aux citoyens, nous voulons les inviter à participer à la vie publique, mais aussi à prendre la responsabilité de leur avenir. Le droit de proposer des lois devrait sans doute être encadré par une loi, mais dans l’ensemble, cette avancée pourrait être le pont entre le citoyen haïtien paisible, parfois irresponsable et corrompu, et un citoyen haïtien actif, responsable et respectueux des droits fondamentaux et de la loi.
Dans notre proposition, le citoyen n’est plus un simple bénéficiaire passif des politiques publiques, mais un acteur engagé dans la préservation du bien commun.
Conclusion : refonder le lien social
L’Article III de l’avant-projet de Constitution propose un renouvellement de la pensée politique haïtienne. Dans cette pensée il ne s’agit pas seulement de proclamer des droits, mais de rééquilibrer la relation entre l’État et le citoyen afin de prévenir la tyrannie de citoyens sur citoyens et la tyrannie de l’État sur les citoyens. En mettant l’accent à la fois sur les garanties fondamentales et les responsabilités individuelles, ce texte trace la voie vers une République fondée sur la justice, la solidarité et la participation de tous. Il reste à espérer que cette vision ambitieuse sera portée par l’ensemble de la société haïtienne, et qu’elle deviendra le socle d’un véritable pacte citoyen pour les générations futures.
Bibliographie
1. Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025, juin). Proposition par l’ANJ d’avant-projet de Constitution de la République d’Haïti 2025. https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitution-de-la-republique-d-hayti-2025
2. Bajeux-Bazile, A. (2020). La fuite des cerveaux en Haïti : mythe ou réalité ? Études caribéennes, 46. https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/31873
3. Camarota, S. A. (2024, février 15). Fact Sheet: Haitian Immigrants in the United States. Center for Immigration Studies. https://cis.org/Camarota/Fact-Sheet-Haitian-Immigrants-United-States
4. Center for Strategic and International Studies. (2011, 14 juin). The role of the Haitian diaspora in building Haiti back better. https://www.csis.org/analysis/role-haitian-diaspora-building-haiti-back-better
5. Chancellerie fédérale suisse. (2025). Initiatives populaires fédérales. https://www.bk.admin.ch/bk/fr/home/droits-politiques/initiatives-populaires.html
6. Théodat, J.-M. (2024, 26 novembre). Que vaut la diaspora haïtienne ? Haiti Inter. https://www.haitiinter.com/la-diaspora-haitienne/
7. Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI). (2025, mars 31). Estimations désagrégées de la population haïtienne en 2024. https://ihsi.gouv.ht/
8. Integrated Food Security Phase Classification (IPC). (2024, juin). Haiti: Acute food insecurity situation June 2024 – February 2025. https://www.ipcinfo.org/ipc-country-analysis/details-map/en/c/1159571
9. Migration Policy Institute. (2024). Haitian Migration Through the Americas. https://www.migrationpolicy.org/article/haitian-migration-through-americas
10. Nations Unies. (2025, 30 janvier). Haïti : les violences armées font grimper la faim à des niveaux « historiques », met en garde l’ONU. https://news.un.org/fr/story/2025/01/1151896
11. Nations Unies – OCHA. (2025). Situation humanitaire en Haïti – Rapport de situation. https://www.unocha.org/haiti
12. Office for the Coordination of Humanitarian Affairs. (2024, 2 novembre). Only 24 percent of Haiti’s hospitals remain functional amid escalating violence. https://www.globalissues.org/news/2024/11/02/38140
13. République d’Haïti. (2012). Constitution de 1987 amendée. Port-au-Prince : Journal officiel Le Moniteur.
14. Trading Economics. (2024). Haiti – Corruption Perceptions Index. https://fr.tradingeconomics.com/haiti/corruption-index
15. World Food Programme. (2024, juin). Persistent violence and displacement lead to record hunger as Haiti needs skyrocket. https://www.wfp.org/news/persistent-violence-and-displacement-lead-record-hunger-haiti-needs-skyrocket
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