
Gouvernment d'Haïti, Décembre 2024, Primature.
NB : Cet article fait partie de la rubrique Les Cahiers de la Refondation, il a été rédigé dans le but de donner une vision plus claire de l’article 4 de l’Avant-projet de Constitution de juin 2025 proposée par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ)
Cliquez ici pour voir l’Avant-projet : https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitutio n-de-la-republique-d-hayti-2025
Auteurs : Woldenskee Minviel & Éditeur web : Godson Moulite
Resumé
Cet article présente une analyse critique de l’inaction historique de l’État haïtien en matière de droits fondamentaux, en soulignant que garantir un droit ne suffit pas s’il n’est pas rendu effectif. À travers l’article 4 de l’avant-projet de Constitution proposé par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ), nous appelons à une refondation du contrat social haïtien. L’État y est désormais tenu d’assurer concrètement deux missions essentielles : l’éducation et la sécurité humaine, dans toutes ses dimensions (publique, économique, sanitaire, environnementale, etc.). Le texte prévoit également une répartition budgétaire obligatoire de 70 % au profit de ces priorités, ainsi qu’un mécanisme de révocation populaire des gouvernements défaillants. Ce projet veut être une rupture avec les logiques passées en instaurant un État responsable, redevable, et véritablement au service du peuple.
Introduction : Du contrat social aux devoirs de l’État
Dans l’article précédent nous avions parlé des droits et devoirs fondamentaux du citoyen haïtien dans l’avant-projet de Constitution de l’Assemblée Nationale de la Jeunesse. Il est vrai que, pour que toute société fonctionne, il faut que, a priori, les citoyens puissent avoir des droits et les exercer, mais d’autant plus il faut que ces derniers remplissent leurs devoirs. Il en est de même pour l’État : si dans le contrat social les citoyens décident de donner une certaine partie de leurs droits/pouvoirs au Léviathan (État), l’État doit en retour avoir une responsabilité envers ces citoyens.
Les failles des constitutions haïtiennes précédentes
Dans les nombreuses Constitutions haïtiennes, les rédacteurs ont été assez vagues sur la question des devoirs de l’État envers la Nation, et aucune n’a mis des lignes strictes pour encadrer la mission essentielle de l’État. Par exemple, la Constitution de 1987 amendée en son article 19 stipule : « L’État a l’impérieux devoir de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction. » Mais comment est-ce que l’État va garantir la vie, la santé et la personne humaine si sa mission n’est que de garantir le droit à ces choses, mais non les choses elles-mêmes ? De même, l’article 32 de la Constitution de 1987 dit que l’État garantit le droit à l’instruction sans dire si l’État doit aussi garantir l’instruction, ni donner une ligne concrète sur comment l’État doit garantir l’éducation.
Comme l’a bien souligné Claude Moïse, « Haiti has never truly been able to achieve the institutionalization of state powers prescribed by its 1987 Constitution » (Moïse, 2021). Ce déficit structurel a permis le développement d’une culture d’irresponsabilité gouvernementale, où garantir des droits signifie souvent se contenter d’une déclaration symbolique, sans mise en œuvre réelle ni contrainte institutionnelle. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’État haïtien, durant ces 38 dernières années sous l’égide de cette Constitution, a été irresponsable. On ne s’est jamais dit qu’il ne faut pas donner à l’État la seule mission de garantir les droits, mais aussi celle d’assurer que les citoyens jouissent concrètement de leurs droits fondamentaux. La question n’est donc pas de garantir le droit à l’éducation, mais de garantir l’éducation elle-même ; ce n’est pas de garantir le droit à la santé, mais de mettre en place tous les dispositifs nécessaires pour le soin des citoyens
L’Article 4 de notre avant-projet : Institutionnaliser les devoirs fondamentaux de l’État
En ce sens, nous avons dédié l’article 4 de notre avant-projet de Constitution aux “devoirs fondamentaux de l’État”. En donnant des directives claires au gouvernement, il serait non seulement plus facile pour ce dernier de les réaliser et de les respecter, mais aussi plus facile au peuple de savoir, légalement, quand l’État ne travaille pas dans l’intention de faire respecter ses droits et dans l’intérêt du commonwealth de la Nation.
Une mission essentielle clairement définie
En premier lieu, dans la section 1, nous décrivons la mission principale de l’État comme suit : “L’État a pour mission essentielle de garantir la dignité humaine, de protéger les droits fondamentaux et d’assurer la mise en œuvre des moyens nécessaires à leur exercice…” Loin d’être une déclaration de principes abstraite, cette mission oblige désormais l’État à agir concrètement pour que chaque citoyen haïtien puisse vivre dignement, accéder à ses droits et jouir pleinement de son humanité. Il ne s’agirait donc plus uniquement de reconnaître des droits sur le papier, mais de mettre en place les institutions, les budgets, les infrastructures et les politiques publiques nécessaires à leur réalisation.
L’éducation et la sécurité humaine comme priorités absolues
Dans cette même section, nous avons imposé deux responsabilités constitutionnelles fondamentales de l’État : 1) L’éducation, comme moteur de l’émancipation individuelle et collective, est une condition sine qua non pour sortir durablement du cycle de pauvreté, d’ignorance et d’exclusion sociale. Il est donc essentiel d’en faire un devoir constitutionnel de l’État. 2) La sécurité humaine, définie dans une approche globale, couvre non seulement la sécurité publique, mais aussi la sécurité économique, alimentaire, sanitaire, sociale, environnementale et judiciaire. Elle n’est donc pas limitée à la violence, ce qui donne à l’État la possibilité d’intervenir selon les priorités du moment. Ces deux piliers ne sont pas choisis au hasard : ils sont au cœur des attentes du peuple haïtien et des défis majeurs de notre société.
Un engagement budgétaire constitutionnalisé
Mais il faut dire qu’une vision aussi ambitieuse ne peut pas exister sans un engagement clair de l’État sur le plan financier. C’est pourquoi la section 2 de l’article 4 de notre avant projet prévoit une disposition forte et contraignante : au moins 70 % du budget national doit être consacré à ces deux missions essentielles, dont 20 % pour l’éducation, et 50 % pour la sécurité humaine, répartie selon les priorités de chaque composante. Cette obligation budgétaire serait intégrée directement dans la Constitution, afin d’éviter les promesses non tenues et les arbitrages politiques qui délaissent les besoins fondamentaux du peuple.
Un pouvoir citoyen de révocation démocratique
Enfin, dans un esprit de démocratie directe et participative, l’article 4 prévoit que tout gouvernement qui faillit de manière manifeste à ces responsabilités peut être révoqué par voie de référendum populaire, selon des modalités à définir dans la Constitution. Il ne s’agit pas ici de fragiliser l’État, mais au contraire de le responsabiliser, de le rappeler à son devoir, et de donner au peuple un outil constitutionnel de contrôle et de sanction démocratique.
Références bibliographiques
- République d’Haïti. (1987). Constitution de la République d’Haïti (Article 19, Article 32). Port-au-Prince, Haïti : République d’Haïti. Version amendée consultée sur https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/repertoire-des-lois-de-la-republique/2623524_constitution-de-1987-amendee
- Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025). Avant-projet de Constitution de la République d’Haïti (Article 4). Document interne. Consulté sur https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitution-de-la-republique-d-hayti-2025
- Hobbes, T. (1651). Leviathan.
Moïse, C. (2021). The Constitutional Question at the Heart of Haiti’s National Crisis. Law and History Review. https://lawandhistoryreview.org/article/claude-moise-the-constitutional-question-at-the-heart-of-haitis-national-crisis/
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