
Cet article fait partie de la rubrique Les Cahiers de la Refondation, il a été rédigé dans le but de donner une vision plus claire de les articles 7 et 8 de l’Avant-projet de Constitution de juin 2025 proposée par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ)
Résumé
Depuis plus de deux siècles, le Pouvoir Législatif haïtien a oscillé entre soumission, inefficacité et perte de crédibilité. Instrumentalisé par l’Exécutif ou paralysé par l’instabilité, le Parlement n’a jamais su jouer pleinement son rôle de contrepoids démocratique. La proposition de l’ANJ, à travers les articles VII et VIII, tente de redéfinir ce pouvoir : en renforçant la transparence, en clarifiant les compétences, et en inscrivant la reddition de comptes comme un principe fondamental. Il ne s’agit pas d’une simple réforme structurelle, mais d’un véritable acte de refondation institutionnelle, visant à faire du Corps Législatif un pilier légitime, efficace et au service du peuple.
Cliquez ici pour voir l’Avant-projet : https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitutio n-de-la-republique-d-hayti-2025
I. Constats d’échec : un Parlement affaibli et discrédité
Comme Minviel a affirmé dans l’article sur les différentes formes du Pouvoir Exécutif en Haiti, la culture politique haïtienne oppose le Pouvoir Législatif et Exécutif. Cette lutte incessante a causé un dysfonctionnement historique du Parlement haïtien, qu’on peut même qualifier de mineur ou de pantin du Pouvoir Exécutif. L’instabilité, absence de contrôle réel, le clientélisme a instauré une rupture de confiance entre les citoyens et leurs représentants. Une refonte profonde donc s’impose pour redonner au Parlement sa crédibilité et sa centralisation dans la démocratie haïtienne.
II. La proposition de l’ANJ , une refondation institutionnelle du pouvoir législatif
Après le concernant constat de l’ANJ du Parlement haïtien, nous avons proposé dans notre projet de constitution des reformes aussi nécessaires que importantes pour combler les lacunes du Corps Législatif actuel— cette refonte combine à la fois une restructuration organisationnelle et un renforcement des règles de fonctionnement dans le but de clarifier les missions du Parlement, de préciser ses compétences, de moderniser sa structure et d’instaurer des mécanismes de transparence et de reddition de comptes.
A. Définition et missions fondamentales du Parlement
D’abord, dans la section 1 de l’article 7 nous précisons le rôle du Parlement et sa définition de manière simple et claire de sorte à ce que tous les citoyens puissent savoir ce qu’est le Parlement et comprendre son fonctionnement au plus bas niveau. L’article 7, section 1, précise aussi que le Pouvoir Législatif s’exerce à travers deux chambres représentatives qui sont la Chambre des Députés et le Sénat, qui forment ensemble le Corps Législatif ou Parlement. Le Parlement détient simultanément le pouvoir de légiférer, de contrôler l’action de l’Exécutif dans les limites constitutionnelles et de superviser la représentation du peuple. En ce sens, les trois missions fondamentales assignées au Parlement sont simples et claires : légiférer, contrôler l’Exécutif et représenter les citoyens.
B. Compétences élargies et encadrées
De plus, la section 2 de l’article 7 élargit encadre ses compétences du Parlement, elle lui attribue une vingtaine de prérogatives s’étendant de la gestion financière au contrôle stratégique, avec la capacité de déclarer la guerre, d’autoriser les états d’exception, de ratifier les traités internationaux et de superviser l’Armée d’Haïti. Ces prérogatives concernent aussi les réformes institutionnelles, telles que la modification des divisions territoriales ou la déclaration de la nécessité de réviser la Constitution, et des fonctions plus symboliques comme l’attribution d’honneurs nationaux et la législation sur les migrations. À noter que toutes les actions du Pouvoir Législatif peuvent être constitutionnellement supervisé par la Cour de Cassation pour garantir un respect strict de la Constitution et assurer une régulation effective du pouvoir exécutif.
C. Réduction et réorganisation du nombre de parlementaires
Nous proposons aussi un nombre de parlementaires plus restreint pour assurer l’efficience dans les dépenses de l’État car avec tous ces députées et ces sénateurs Haïti était surreprésenté avec des personnes qui en réalité ne représentaient que leurs propres intérêts. Le dernier Parlement haïtien était des plus non-productifs, de 2016 à 2020 la chambre des députées n’ont voté que 14 lois émanant de la Chambre basse (Jean, 2020) — cela traduit clairement un parlement inefficace dans son travail. En Haiti les parlementaires sont plus intéressés aux privilèges de la fonction qu’aux responsabilités. En ce sens, pour limiter ces dépenses publiques inutiles nous proposons de réduire le nombre de membres de parlementaires en passant le Sénat de trente-cinq à quinze membres, répartis à raison de cinq par régions: Nord, Centre et Sud ; et la Chambre des Députés à quatre-vingts membres, proportionnels à la population des provinces, avec un minimum d’un député par province. Dans un esprit d’inclusion et aussi d’efficacité nous proposons d’avoir des parlementaires pour représenter la diaspora en leur donnant une place institutionnelle avec trois sénateurs pour représenter respectivement l’Amérique du Nord, l’Eurasie et l’Amérique du Sud.
D. Conditions d’éligibilité renforcées
Dans notre proposition nous tentons aussi de renforcer les conditions d’éligibilité des parlementaires qui en plus des conditions précédentes requiert maintenant un niveau académique, soit une licence pour les députés, et un master pour les sénateurs — cela permettra d’avoir des parlementaires plus imbus et plus soucieux de leur travail. À cela s’ajoute aussi l’obligation de déposer une déclaration patrimoniale publique avant et après chaque mandat, afin de lutter contre la corruption et de consolider la confiance citoyenne.
E. Fonctionnement et stabilité institutionnelle
Le fonctionnement du Parlement quant à elle est conçu pour être transparent et stable. Nous proposons comme l’avant projet de mai 2025 des mandats fixés à cinq ans, avec deux sessions ordinaires annuelles, de janvier à mai et de juin à septembre. Le Parlement est aussi rendu indissoluble, ce qui garantira sa continuité et sa stabilité institutionnelle. Le processus législatif est encadré dans ses moindres détails : l’initiative des lois est partagée entre le Parlement et l’Exécutif, même si les projets relatifs aux finances publiques restent principalement à l’initiative de ce dernier. Chaque projet de loi doit être voté article par article dans une version identique par les deux chambres, et une commission mixte paritaire est prévue pour résoudre les désaccords. Le droit d’objection du Président est limité à une période de huit jours francs, après quoi, en cas de rejet de ses observations, il doit promulguer la loi sans délai.
F. Transparence et reddition de comptes
La reddition de comptes est aussi inscrite au cœur du dispositif, nous proposons que chaque parlementaire soit tenu de présenter annuellement un rapport public sur ses activités et leur gestion, cette mesure permettra de maintenir une proximité continue avec les électeurs et de leur assurer transparence et responsabilité. Les immunités parlementaires sont maintenues pour protéger l’indépendance des élus, mais elles sont encadrées : elles ne couvrent pas les cas de flagrant délit et toute condamnation définitive entraîne automatiquement la déchéance du mandat.
G. Prévention des conflits d’intérêts
À côté de cela, nous proposons dans l’article VIII, section 14 l’interdiction aux parlementaires d’occuper des fonctions liées à des contrats publics ou d’exercer des postes exécutifs, sauf dans le domaine de l’enseignement afin de prévenir les conflits d’intérêts.
H. Création d’une Bibliothèque du Parlement
Enfin, l’article VII, section 10, prévoit la création d’une Bibliothèque du Parlement, destinée à centraliser et conserver les archives nationales et législatives. Cet outil institutionnel favorisera la mémoire démocratique, l’accès à l’information publique et la transparence dans le fonctionnement parlementaire.
III. Vers un parlement au service du peuple
A. Transparence, efficacité et représentativité
Bien que la nation demandera des comptes, pour reprendre Alain Turnier, l'idée de départ de nos représentants, a toujours été une affaire de "Vin fè yon kout kòb", et non de servir la nation. De cette approche, on comprend bien dans quelle situation que le peuple se trouve. Certes, la Constitution de 1987 amendée créé le pouvoir législatif avec des missions précises, mais, la réalité politique en Haïti l'oblige à devenir utile pour une catégorie. Disons que, le parlement est censé proposer des lois et contrôler les actions de l'exécutif dans les décisions qui engageront l'État. Mais, il est devenu plutôt un outil de pression, où les politicards s'en sert pour tirer les ficelles. Le bicentenaire est le lieu de marchandage de toute sorte. On lève la main parce que sa poche est pleine de billet, de promesses. Voilà le contre poids qu'il est devenu.
Cependant, le pouvoir politique est l'ensemble des interactions permettant de réguler et stabiliser une société. Maintenant, lorsque la priorité n'est pas donnée à la transparence, à l’efficacité et à la représentativité, on se lance tout droit vers l'instabilité politique. C'est pour cela qu'il s'avère essentiel à nos représentants de ne pas faire le contraire, de faire de la transparence, l’efficacité et la représentativité une priorité durant l'exercice de leur mandat. C’est en ce sens que la réforme de l’ANJ cherche à corriger cet écart en plaçant la transparence et l’efficacité au cœur de l’action parlementaire. L’obligation de reddition de comptes annuelle devant la nation constitue une innovation majeure, destinée à rappeler aux élus qu’ils sont d’abord responsables devant le peuple, et non devant leurs intérêts particuliers. La réduction du nombre de parlementaires, quant à elle, vise une meilleure représentativité et une gestion plus efficace de la fonction législative.
B. Volonté de faire du Parlement un véritable contre-pouvoir démocratique.
Les sociétés démocratiques font leur possible pour empêcher tout responsable élu d’abuser de son pouvoir. La corruption fait partie des abus les plus courants. Elle se produit quand les responsables gouvernementaux utilisent de fonds publics pour leurs intérêts personnels ou exercent le pouvoir illégalement. On emploie des méthodes diverses pour se protéger contre de tels abus. Fréquemment, le gouvernement est structuré de façon à limiter le pouvoir de chaque organe du gouvernement; à garantir l’indépendance des tribunaux et des organismes habilités à prendre des mesures contre tout acte illégal de la part d’un responsable élu ou d’un organe du gouvernement; à permettre la participation des citoyens et l’organisation d’élections; et à freiner les abus de pouvoir de la police. « Pour éviter les abus de pouvoir qui sont inhérents à l’exercice même du pouvoir, pour éviter toutes les formes de tyrannie dans la vie sociale, il est indispensable qu’il existe des contre-pouvoirs », rappelle Céline Spector, professeur de philosophie à la Sorbonne. Effectivement, « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », disait Montesquieu dans L’Esprit des lois. Face à une autorité établie, les contre-pouvoirs sont en effet des contre-feux essentiels dans nos démocraties, car ils permettent de réguler l’activité politique et économique en comblant un vide entre l’Etat et les citoyens, afin que ces derniers ne se retrouvent pas systématiquement dans « la situation du pot de terre contre le pot de fer ».
Afin d'empêcher la concentration du pouvoir et préserver les libertés publiques est venu un contrepoids démocratique (ou « check and balance ») comme étant un mécanisme qui limite le pouvoir d’une institution ou d’un acteur politique pour éviter les abus et garantir l’équilibre entre les différentes branches du pouvoir. Par exemple du principe de la séparation des pouvoirs, nous avons une idée de contrepoids dans une démocratie. Le législatif fait les lois, l'exécutif les applique et le judiciaire les interprète et contrôle la légalité des actes. Cela se fait ressentir par le parlement qui contrôle l’exécutif, vote du budget et l'interpellation ou mise en accusation des ministres. Ou encore par une cour constitutionnelle qui peut annuler une loi ou un décret inconstitutionnel. Aussi les médias libres et société civile jouent un rôle de veille et d’alerte contre les abus de pouvoir. Le dernier mots revient au peuple lors des élections libres et régulières qui permettent au peuple de sanctionner ou de renouveler ses dirigeants. Ainsi nous avons compris qu'il faut éviter par tout les moyens la concentration du pouvoir. C'est donc en ce sens qu'un contrepoids démocratique est essentiel pour garantir un État de droit, limiter l’arbitraire et assurer la responsabilité politique.
• Une avancée majeure pour sortir le législatif de la crise de légitimité.
La politique ne peut pas seulement trouver sa légitimité dans l’élection. Pour être solide et durable, elle doit aussi reposer sur la compétence et sur l’intégrité morale. En Haïti, on a trop souvent vu des parlementaires entrer en fonction sans préparation académique suffisante, incapables d’assumer pleinement leurs responsabilités. La réforme proposée par l’ANJ, qui exige désormais un niveau académique minimum pour se porter candidat, constitue une avancée majeure pour sortir le législatif de la crise de légitimité. Ce critère de compétence vise à rehausser la qualité du débat parlementaire et à renforcer la confiance entre élus et citoyens.
Mais, pour revenir à une situation plus stable, il est impératif de clarifier, une fois pour toutes, le rôle véritable du parlementaire. En Haïti, les députés et sénateurs se présentent souvent comme des agents de développement, alors que cette responsabilité revient d’abord aux maires et mairesses. Certes, un parlementaire peut appuyer la municipalité, mais sa mission première est ailleurs : légiférer et contrôler l’action gouvernementale. Cette confusion, qui dure depuis trop longtemps, vient de l’absence d’une éducation civique accessible à tous. Comme le rappelait Edmond Paul, « la bête succombe, quand la pâture fait défaut… ainsi meurt le charlatan, quand le peuple est éclairé ». Nos législateurs ont profité de l’ignorance du peuple pour entretenir des illusions sur leur rôle réel. C’est ce mensonge permanent qui explique pourquoi la décentralisation et la déconcentration ne sont jamais devenues effectives dans le pays. Ils l’ont toujours freinée, car sinon, ils perdraient l’espace nécessaire pour continuer à bluffer la population.
Ainsi, cette réforme, loin d’exclure le peuple, cherche au contraire à garantir que ses représentants soient réellement capables de défendre l’intérêt national. Comme le souligne Céline Spector, la démocratie suppose un équilibre entre élection et responsabilité. Ici, la compétence devient non seulement un gage d’efficacité, mais aussi une condition essentielle pour restaurer la confiance démocratique et sortir Haïti du cercle vicieux de la tromperie politique.
Références
1) Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025). Proposition d’Avant-projet de Constitution de la République d’Hayti 2025 : Article VI sur les Pouvoirs de l’État. https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitution-de-la-republique-d-hayti-2025
2) Jean, W. M. (2020, 16 novembre). Les députés n’ont voté que 14 % des textes de loi émanant de la Chambre basse en 4 ans. Ayibopost. https://ayibopost.com/les-deputes-nont-vote-que-14-des-textes-de-loi-emanant-de-la-chambre-basse-en-4-ans/
3) Paul, E. (1880). De l’instruction publique en Haïti. Port-au-Prince: Imprimerie A. A. Margron.
4) Spector, C. (2022). La démocratie et sa responsabilité. Paris: Seuil.
5) Constitution de la République d’Haïti (1987). Moniteur Officiel de la République d’Haïti.
Ajouter un commentaire
Commentaires