La séparation des pouvoirs : une nécessité pour la stabilité politique en Haïti

Cet article fait partie de la rubrique Les Cahiers de la Refondation, il a été rédigé dans le but de donner une vision plus claire de l’article 6 de l’Avant-projet de Constitution de juin 2025 proposée par l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ)

Auteurs : Woldenskee Minviel,  Stanley Sthawanthes Chereste, Karl Billy Nelson & Éditeur web : Godson Moulite

Résumé

La séparation des pouvoirs en Haïti a été depuis notre indépendance l’un des spheres les plus boiteux de l’État haytien. Dessalines n’ayant laissé que traces de tyrannie, ses successeurs ont tous suivi les pas de leurs pères. De Dessalines à Jovenel Moïse la separation des pouvoirs publics haitienne n’a été que théorique, bien qu’évoluée avec le temps elle demeure en 2025 une illusion écartée de la réalité. Cette illusion se manifeste par la domination constante de l’exécutif sur le législatif et le judiciaire, entraînant instabilité politique, corruption systémique et méfiance populaire envers les institutions. Les constitutions successives, conçues pour instaurer un équilibre, ont été régulièrement contournées ou ignorées au profit de pratiques autoritaires et clientélistes. L’Avant-projet de Constitution 2025 de l’ANJ propose de rompre avec cette tradition en établissant une séparation des pouvoirs claire, accompagnée de mécanismes de contrôle mutuel contraignants. Ce modèle, inspiré de Montesquieu et des checks and balances américaines, vise à empêcher toute concentration excessive de pouvoir et à rétablir la confiance citoyenne. Sa réussite dépendra toutefois de la volonté politique et de l’engagement civique de la population.

Cliquez ici pour voir l’Avant-projet : https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitutio n-de-la-republique-d-hayti-2025


 

I. Le principe fondamental de la séparation des pouvoirs

 

Définition et histoire (John Locke, Montesquieu, démocratie moderne).

L’une des plus grandes horreurs à la démocratie est la concentration des pouvoirs. Quand une personne ou un groupe de personnes, élus ou non, decident à elles seules d’accumuler tous les pouvoirs de l’État, afin de choisir le futur et de décider du destin d’autrui cela est de la tyrannie comme l’avait dit James Madison dans “The Federalist 51” et d’autres auteurs avant lui.

En effet, John Locke et Montesquieu ont pris conscience de ce fléau en Angleterre lorsque le roi voulait imposer sa volonté impopulaire à tous avait abouti à la création du Parlement. Cet événement fut aussi la base pragmatique de la théorie de la séparation des pouvoirs. Cette théorie stipule que, pour qu’une personne ou un groupe de personnes ne s’emparent pas à elles seules du pouvoir de l’État, il faut que le pouvoir Étatique soit séparé en plusieurs branches selon leur domaine d’expertise. Ainsi, Locke a proposé trois pouvoirs. Un pouvoir exécutif qui gère l’administration internes du pays, un pouvoir législatif qui rédige les lois et un pouvoir fédératif qui gère les affaires externes du pays. Montesquieu quant à lui reprend la division de John Locke en apportant une modification essentielle, dernier remplace le pouvoir fédératif par le pouvoir judiciaire qui est celui qui fait respecter la loi et rend la justice. Les attributs du pouvoir fédératif ont été du coup inclus dans le pouvoir exécutif qui selon Montesquieu est le pouvoir qui fait exécuter la loi que ce soit de manière interne ou externe.

Bref, la séparation des pouvoirs de Montesquieu fut la plus populaire et la plus adoptée dans le monde, c’est d’ailleurs sur ces principes que les pères fondateurs de la République des États-Unis se sont basés pour construire l’État étasunien avec trois grandes branches du gouvernement (État) avec chacune leurs responsabilités distinctes car comme disait James Madison « Le pouvoir est de nature envahissante, et il doit être efficacement empêché de dépasser les limites qui lui sont assignées » (The Federalist 47).

 

Rôle de chaque pouvoir : exécutif (exécuter la loi), législatif (élaborer la loi), judiciaire (faire respecter la loi).

Dans la séparation classique des pouvoirs, celle de Montesquieu, chaque pouvoir a son propre et distinct rôle pour éviter la tyrannie. Partant de ce principe, l’État doit être doté d’un pouvoir Législatif qui serait dans la personne morale institutionnelle du Parlement ou du Congrès. Cette entité doit être celle en charge de l’élaboration des lois du pays et aussi de leur intégration dans la législation. Le Parlement est donc le créateur de lois par excellence.

Après qu’une loi soit votée, il faut qu’elle entre en exécution, il faut quelqu’un pour l’implémenter. C’est là qu’entre la Présidence et/ou La Primature. Ces institutions forment le Pouvoir Exécutif. Pouvoir chargé d’appliquer la loi dans la société de manière pragmatique avec des politiques publiques de développement et /ou de régularisation.

Toutefois, comme le dit le professeur Ronald J. Pestritto dans le cours “The Federalist” de l’Hillsdale College : « l’humain n’est pas un ange, il n’est pas parfait, il nécessite une supervision dans ses actions politiques ». C’est précisément cette imperfection de la nature humaine qui justifie l’existence d’un troisième pouvoir : le Pouvoir Judiciaire. Ce dernier est celui chargé de faire respecter la loi, que ce soit dans le peuple (droit privé) ou dans l’État (droit public). Delà étant, le Pouvoir Judiciaire, bien que faisant partie de l’État n’est pas essentiellement un Pouvoir Politique et ne fait pas partie du gouvernement comme les Pouvoirs Exécutif et Législatif. Il est donc ce qu’on pourrait appeler la “garde de nuit” ou le “watch-dog” du gouvernement.

En écrivant la constitution étasunienne, les rédacteurs des Federalist Papers(une série comme les Cahiers de la Refondation qui défendaient la constitution proposée) en particulier James Madison dans The Federalist No. 51, ont insisté sur la nécessité de diviser le pouvoir afin d’éviter qu’il ne se concentre entre les mains d’un seul homme ou d’un seul groupe. Car, comme l’a dit Madison : « Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire. » (If men were angels, no government would be necessary.). Mais, comme nous ne sommes pas des anges, il a fallu que nous fassions un contrat social, et donc créer l’État pour garantir nos libertés. Cette vision réaliste de la nature humaine repose sur l’idée que chaque individu est animé par ses intérêts propres, et que seule une structure politique bien pensée peut empêcher que ces intérêts ne dégénèrent en abus. Cependant, puisque le gouvernement est encore sous la direction des humains. De ce fait, Montesquieu a suggèré dans son texte qu’« il faut que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir”, d’où la logique des freins et contrepoids (checks and balances) dans la Constitution américaine.

 

La nécessité des checks and balances

Dans The Federalist 51Alexander Hamilton et James Madison ont évoqué le principe selon lequel « L’ambition doit être opposée à l’ambition » (Ambition must be made to counteract ambition). L’ambition utilisé en premier lieu par Madison fait référence aux principes et objectifs des institutions étatiques qui devraient être en mesure de bloquer les ambitions personnelles des gouvernants. Ils ajoutent que « The interest of the man must be connected with the constitutional rights of the place. », ce qui fait rappel au principe de la suprématie de la Constitution discuté dans l’article 1 de l’avant-projet de de l’ANJ. Ce principe rappelle aussi que l’ambition institutionnelle ou publique doit prévaloir sur l’ambition personnelle.

Ainsi, Publius (le nom collectif utilisé par les auteurs de The Federalist) avançait que, pour que le pouvoir puisse arrêter le pouvoir, il faut mettre en place ce qu’il appelle des précautions auxiliaires (auxiliary precautions) afin d’encadrer les actions du gouvernement au-delà de la simple séparation des pouvoirs. Parmi ces protections, il énonce notamment : la nomination croisée, où les membres d’un pouvoir sont choisis ou validés par un autre (comme les juges fédéraux nommés par le président mais approuvés par le Sénat) ; la division du pouvoir législatif, c’est-à-dire un Congrès composé de deux chambres distinctes pour éviter les décisions hâtives ou partisanes ; et la dépendance du gouvernement au peuple, qui se manifeste par des élections régulières. Parmi ces précautions, d’autres ont aussi été concrètement institutionnalisées dans la Constitution américaine pour former le système de checks and balances : le pouvoir de veto du président sur les lois votées par le Congrès ; la procédure d’impeachment, qui permet au Congrès de juger et destituer un président ou un juge pour abus de pouvoir ; le contrôle budgétaire, grâce auquel le Congrès peut limiter les dépenses de l’exécutif ; le contrôle de constitutionnalité, par lequel la Cour suprême peut annuler une loi ou un acte jugé contraire à la Constitution ; et enfin le fédéralisme, qui répartit les compétences entre l’État fédéral et les États fédérés pour empêcher toute concentration excessive du pouvoir. Bref, ces mécanismes, pensés pour correspondre à la réalité imparfaite de la nature humaine, assurent un équilibre dynamique entre les branches du pouvoir étasunien.

En résumé, la séparation des pouvoirs ne repose pas sur une méfiance gratuite, mais sur une compréhension lucide de la condition humaine. Et loin d’être un luxe, le contrôle mutuel entre les institutions est une condition essentielle pour préserver la liberté et prévenir la dérive autoritaire. C’est pourquoi, à l’image des propos du professeur Pestritto, le système constitutionnel américain considère que le pouvoir doit être surveillé, limité, et équilibré, car l’homme, n’étant ni ange ni parfait, ne peut être laissé sans garde-fous dans l’exercice du pouvoir. D’où la nécessité des checks and balances. Mais cette formule, aussi brillante soit-elle, suppose que les individus défendent réellement les intérêts de leur institution. Or, comme le soulignent Ayse Eldes, Christian Fong et Kenneth Lowande dans leur article “Does Ambition Counteract Ambition ?” (2023), cette dynamique peut échouer lorsque les membres du Congrès cherchent à devenir président : « Si les législateurs désirent tant la présidence qu’ils négligent, ou même sabotent activement, les intérêts institutionnels du Congrès, alors l’ambition ne contrecarre plus l’ambition. »

 

II.            L’échec historique de la séparation des pouvoirs en Haïti

L’échec historique de la séparation des trois pouvoirs en Haïti a des conséquences néfastes sur le fonctionnement de notre système politique. Il engendre un dysfonctionnement des institutions républicaines prévues par les différentes constitutions qu’a connues le pays. Ces failles ont contribué à alimenter une crise de légitimité permanente, une instabilité chronique du système politique, une corruption endémique et une profonde défiance des citoyens envers les autorités publiques.

 

Instabilité politique chronique

La faiblesse des institutions de contrepoids donne à l’exécutif la possibilité d’exercer son pouvoir arbitraire, au mépris des normes démocratiques. Cela provoque des tensions politiques récurrentes. À ce titre, la lutte entre les pouvoirs empêche l’harmonie des trois pouvoirs : d’un côté, l’exécutif veut renforcer son pouvoir ; de l’autre, le pouvoir législatif cherche à limiter celui du président.

Cette lutte répétée entre l’exécutif et les parlementaires ne favorise pas la tenue d’élections démocratiques. Dans la majorité des cas, le président utilise la vacance parlementaire pour gouverner par décret et impose sa vision de la chose publique en dehors des normes démocratiques. Dans le cas où, sous la pression des secteurs socio-politiques, on organise quand même des élections, celles-ci se terminent toujours par de violentes contestations ou par des changements de régime non institutionnels.

Toutefois, en Haïti, la lutte persistante entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif n’a jamais véritablement servi l’intérêt du peuple ni celui de la nation. Cette rivalité, souvent fondée sur des querelles de leadership, des ambitions personnelles et des intérêts partisans, a contribué à paralyser l’appareil de l’État. À force de se concentrer sur les conflits internes, ces deux branches du pouvoir ont négligé leur mission fondamentale : construire un avenir stable et prospère pour le pays.

Aujourd’hui, cette crise a atteint son paroxysme : le pouvoir législatif est pratiquement inexistant, et l’exécutif fonctionne en dehors du cadre légal établi par la Constitution. L’absence de contre-pouvoirs et de dialogue institutionnel a laissé place à un vide de gouvernance, favorisant l’impunité, la corruption, la violence et l’effondrement progressif des institutions publiques. Nous avons certes conquis la liberté en brisant les chaînes du colonialisme, mais nous avons échoué à asseoir une véritable souveraineté. Être souverain ne consiste pas seulement à être indépendant sur le papier, mais à exercer pleinement son autodétermination à travers des institutions fortes, stables et représentatives du peuple. Aujourd’hui, plus que jamais, l’urgence est à la refondation d’un État crédible, légitime et au service du bien commun.

 

Un déséquilibre institutionnalisé

De l’Empire de Soulouque à la République monarchisée de Faustin Ier, en passant par Geffrard, Salnave ou Nord-Alexis, la logique restait la même : l’exécutif a dominé. La Constitution de 1848, loin de corriger cette dérive, l’entérine : l’article 46 associe formellement le pouvoir exécutif au pouvoir législatif dans l’élaboration des lois, brouillant ainsi les lignes de séparation des pouvoirs.

Même après la fin de l’occupation américaine, puis la chute de Duvalier en 1986, le même modèle perdure. La Constitution de 1987 tente de rééquilibrer le système, mais sans succès durable. Comme le résumait feu Me Monferrier Dorval, « Le pays n’est ni dirigé, ni administré. » La faiblesse chronique du Parlement haïtien illustre cette dérive : la 50ᵉ législature n’a adopté que 14 lois d’initiative députée sur un total de 49 textes votés en quatre ans (AyiboPost, 2020). À titre comparatif, la France en a adopté 197 durant la même période (IPU, 2020), et les 115ᵉ et 116ᵉ Congrès des États-Unis ont ensemble promulgué plus de 780 lois fédérales (Pew Research Center, 2019 ; 2021). Cette carence ou déficit législatif n’est pas seulement symptomatique d’un Parlement inefficace, il reflète aussi une confiscation prolongée du pouvoir législatif par l’exécutif.

 

Une lutte constante entre Exécutif et Législatif

Cette logique conflictuelle entre les institutions ne s’est jamais arrêtée. Donc, « En analysant les différentes métamorphoses du Pouvoir Exécutif, plus précisément de la Présidence au sein des nombreuses constitutions haïtiennes, on remarque un conflit au sein de l’État et de ses Pouvoirs : d’un côté il y a le Législatif qui veut limiter et contrôler l’Exécutif, d’un autre il y a l’Exécutif qui veut agrandir le sien. ». (Minviel, 2023) Cette rivalité a nourri des crises, divisé le territoire, provoqué des coups d’État, et justifié la rédaction de multiples Constitutions.

 

Des Constitutions façonnées par la méfiance

La Constitution de 1816, sous Pétion, instaure une présidence à vie où le chef de l’État choisit ses successeurs. Le Sénat, bien que présent, est largement dépendant du président. Plus tard, la tentative de régime parlementaire en 1843, surnommée « Petit Monstre », échoue, faute de volonté politique et sous pression militaire. Philippe Guerrier la met de côté et gouverne comme dictateur.

Le schéma se répète : constitution votée, puis ignorée ; parlement élu, puis dissous. Même les Constitutions les plus équilibrées sur papier sont systématiquement contournées.

 

Corruption institutionnalisée

En effet, dans la majorité des cas, le président de la République sous la Constitution de 1987 ne dispose pas d’une majorité dans les deux chambres. Ainsi, pour faire passer les projets de loi ou faire ratifier son gouvernement, les députés et les sénateurs utilisent leur pouvoir de ratification pour faire du chantage à l’exécutif, en vue de négocier les postes de directions générales ou ministérielles. Dans certains cas, les sénateurs exigent du président de la République qu’il nomme leurs proches dans les missions diplomatiques, alors que celui-ci est censé en être le chef.

De ce fait, le non-respect de la séparation des trois pouvoirs crée des conditions favorables à la corruption des parlementaires par le président. Ces derniers se retrouvent ainsi dans l’incapacité d’exercer leur fonction de contre-pouvoir, c’est-à-dire de contrôler l’exécutif et de légiférer sur tout ce qui a trait à l’intérêt national.

Dès lors, nous pouvons évoquer une véritable corruption institutionnalisée au cœur du système politique haïtien. C’est le règne du principe tacite du « payer pour gouverner » : si l’on ne participe pas à ce jeu d’argent et d’influence, on devient automatiquement opposant, qu’on soit député, sénateur, parti politique ou acteur économique. Ce système alimente un climat où la loyauté n’est plus envers la nation, mais envers celui qui offre le plus.

La ruse de nos représentants consiste à faire croire que le clientélisme est une fatalité dans la pratique politique haïtienne. Ils s’en servent comme d’un outil de contrôle, de manipulation des masses et de renforcement de leur pouvoir personnel. Et même face aux rares tentatives de réformes ou de sanctions, les fondements de cette culture politique restent intacts. Rien ne change en profondeur, car les mécanismes de reproduction du système demeurent : l’impunité, la faiblesse institutionnelle et l’absence de volonté politique réelle. En ce sens, il ne s’agit plus seulement de dénoncer, mais de comprendre que sans une rupture structurelle, une refondation éthique et institutionnelle la corruption restera non seulement un fléau, mais aussi une vieille coutume.

 

Une culture politique de contournement

À cette logique de concentration du pouvoir et de corruption s’ajoute une pratique perverse : la substitution des lois par des décrets. Dans l’histoire politique haïtienne récente, de nombreux présidents ont gouverné par décret, même en dehors de l’état d’exception. Ces actes réglementaires prennent souvent le pas sur la législation adoptée par le Parlement. Comme l’illustre l’article 3 du Décret modifiant celui du 17 mai 2005 sur l’organisation de l’Administration centrale, on peut lire : « Le présent Décret abroge toutes Lois ou dispositions de Lois, tous Décrets-Lois ou dispositions de Décrets-Lois, tous Décrets ou dispositions de Décrets qui lui sont contraires et sera publié et exécuté à la diligence du Premier Ministre et de tous les Ministres[1] et ce recours récurrent aux décrets contribue à l’érosion de l’autorité législative, accentuant la dérive présidentialiste et l’ineffectivité du Parlement.

 

La tradition du blocage comme héritage politique

 « Et puisque la tradition politique haïtienne oppose le Pouvoir Exécutif au Législatif, il a été préférable pour les serviteurs publics (présidents, premiers ministres, sénateurs, députés) de se disputer les Pouvoirs de l’État au lieu de chercher un chemin d’expérimentation, d’entente et d’équilibre. » (Minviel, 2023) Ce choix de confrontation perpétuelle a affaibli durablement l’État haïtien. Les institutions n’ont jamais appris à coopérer, encore moins à se contrôler mutuellement de manière constructive.

 

Méfiance citoyenne et crise de légitimité

Les conflits entre l’exécutif et le législatif affaiblissent les autres institutions de l’État, en particulier le Conseil électoral. Cet affaiblissement crée un manque de confiance de la part des citoyens envers les institutions, développant ainsi une attitude de rejet vis-à-vis de l’État et du système politique dans son ensemble. En effet, comme l’a expliqué feu Me Monferrier Dorval dans une interview donnée à Télé Métropole, la ratification des Premiers ministres et l’organisation des élections sont les deux principales crises institutionnelles du pays.

De ce fait, constatant que les élections sont toujours marquées par l’ingérence du pouvoir en place et de la communauté internationale, et que, de surcroît, les élus, une fois arrivés au pouvoir, passent leur temps à discuter des postes au lieu de répondre aux besoins réels de la population, les citoyens ne voient plus de raison de voter, convaincus que leur bulletin ne compte pas vraiment. La faible participation aux scrutins traduit donc un désintérêt croissant pour le Conseil électoral, perçu comme corrompu ou inutile.

Aujourd’hui, la situation est plus critique que jamais. Les acteurs politiques, au lieu d’agir, se contentent de constater les dégâts, en écartant ceux qui pourraient réellement apporter des solutions. Ils ont préféré se réunir pour consulter l’OEA, plutôt que de s’unir pour comprendre les attentes profondes de la population.

 

III. Vers une vraie séparation des pouvoirs en Haïti

En Haïti, la relation entre les pouvoirs de l’État a toujours été un long et intrépide duel sanglant, une lutte acharnée pour le pouvoir suprême. Les membres des institutions oublient trop souvent leurs devoirs institutionnels et laissent l’ambition personnelle empiéter sur l’ambition collective et constitutionnelle. Certains outils de « checks and balances », comme le droit de veto présidentiel, la confirmation du Premier ministre ou le bicaméralisme, sont utilisés à la convenance du moment, et au gré des rapports de force politiques. Mais les mécanismes de contrôle du Pouvoir Judiciaire, eux, restent quasi inexistants dans la pratique. Les décisions de justice ne sont pas respectées, et la justice haïtienne demeure corrompue, lente et archaïque. Bien que la séparation des pouvoirs en Haïti, est à un certain degré existant, le principe de checks and balances reste quasi inexistant, surtout dans le Pouvoir Judiciaire.

Pour pallier l’absence d’un principe rigide de séparation des pouvoirs, l’Assemblée Nationale de la Jeunesse (ANJ) propose dans l’article 6 de son avant-projet de Constitution une refondation de la séparation des pouvoirs étatique haïtienne et des mécanismes de checks bien définis pour assurer la balance des pouvoirs de l’État.

 

L’article 6 de l’Avant-projet de l’ANJ propose un rééquilibrage institutionnel clair

Dans l’article VI de notre avant-projet nous affirmons dès le début que la souveraineté est déléguée à trois pouvoirs distincts : Législatif, Exécutif et Judiciaire et que chaque pouvoir agit « au nom du peuple » dans un cadre strictement délimité dans lequel chaque pouvoir a son rôle distinct. Ainsi nous mettons la séparation stricte des fonctions au cœur de l’État : Le Législatif élabore les lois, L’Exécutif les applique, Le Judiciaire les interprète et les fait respecter. Toute tentative d’usurpation ou de délégation de fonction est explicitement interdite et engage la responsabilité juridique des auteurs. (Section 2, Article 6, Avant-Projet ANJ)

 

Des mécanismes de checks-and-balances enfin institutionnalisés

Contrairement aux constitutions haïtiennes précédentes, l’article 6 donne une base légale et contraignante aux contrôles mutuels entre les pouvoirs :

Le Pouvoir Judiciaire peut : Annuler toute décision inconstitutionnelle de l’Exécutif ou du Législatif ; Annuler un acte administratif illégal ; Juger les agents publics pour crimes et corruption.

Le Pouvoir Législatif contrôle : Le Président et le Vice-Président par la motion de censure ; Les dépenses publiques par le vote du budget ; L’action des autres pouvoirs par les lois.

Le Pouvoir Exécutif, quant à lui, peut : Proposer des lois à titre citoyen ; Nommer les hauts fonctionnaires selon les règles établies ; Porter un litige institutionnel devant la Cour de Cassation.

 

Conclusion

Sans séparation réelle des pouvoirs, il ne peut y avoir de stabilité durable en Haïti. Comme l’a rappelé Woldenskee Minviel dans son article sur les différentes formes du Pouvoir Exécutif en Haïti, « la lutte incessante pour l’autorité du Pouvoir Exécutif fut en majeure partie la cause des nombreuses constitutions, des grandes crises et des différentes formes qu’a connues l’Exécutif en Haïti ».

Et puisque, comme il le dit encore, « la tradition politique haïtienne oppose le Pouvoir Exécutif au Législatif, il a été préférable pour les serviteurs publics de se disputer les pouvoirs de l’État au lieu de chercher un chemin d’expérimentation d’entente et d’équilibre. »

Face à cette culture de confrontation, l’Avant-projet de l’ANJ propose un nouveau départ, une base sérieuse pour avancer vers un État de droit équilibré, respectueux de ses propres institutions. Mais pour que cette proposition prenne vie, elle doit être comprise, discutée et appropriée par la population. Car aucune constitution ne peut survivre sans une conscience civique partagée.

 

 

Bibliographie

1)    Assemblée Nationale de la Jeunesse. (2025). Proposition d’Avant-projet de Constitution de la République d’Hayti 2025 : Article VI sur les Pouvoirs de l’État. https://www.assembleenationaledelajeunesse.com/nos-travaux/2520032_proposition-par-l-anj-d-avant-projet-de-constitution-de-la-republique-d-hayti-2025

2)    AyiboPost. (2020). La 50e législature haïtienne n’a voté que 14 lois en quatre ans. https://ayibopost.com/les-deputes-nont-vote-que-14-des-textes-de-loi-emanant-de-la-chambre-basse-en-4-ans/

3)    Constitution haïtienne de 1987. (1987). Constitution de la République d’Haïti.

4)    Constitution Impériale d’Haïti. (1805). Constitution de l’Empire d’Haïti sous Jean-Jacques Dessalines.

5)    Constitution haïtienne du 27 décembre 1806. (1806). Constitution de la République d’Haïti.

6)    Décret portant amendement du Décret du 17 mai 2005 portant organisation de l’Administration Centrale de l’État. (2006). Journal officiel Le Moniteur, article 3. https://budget.gouv.ht/storage/app/uploads/public/5f4/57a/c6e/5f457ac6ec65b968381531.pdf

7)    Dieudonné, S. (2012). Haïti, deux siècles de constitutions et de politiques perverse. Port-au-Prince : Presses Nationales d’Haïti, Collection Mémoire Vivant.

8)    Dorval, M. (s.d.). Entretien avec Me Monferrier Dorval sur la crise institutionnelle haïtienne. TV Métropole.

9)    Eldes, A., Fong, C., & Lowande, K. (2025, February). Does ambition counteract ambition? [Working paper]. Princeton University & University of Michigan. https://sites.lsa.umich.edu/lowande/wp-content/uploads/sites/1366/2025/02/ambition.pdf

10) Hillsdale College. (n.d.). The Federalist Papers [Online course]. Hillsdale College Online. Retrieved July 25, 2025, from https://online.hillsdale.edu/courses/promo/the-federalist-papers

11) Legifrance. (s.d.). Liste des dossiers législatifs - Lois publiées - XVe législature. Legifrance. https://www.legifrance.gouv.fr/liste/dossierslegislatifs/15/?type=LOI_PUBLIEE&utm_source=perplexity

12) Madison, J. (1788). The Federalist No. 51: The structure of the government must furnish the proper checks and balances between the different departments. In A. Hamilton, J. Madison, & J. Jay, The Federalist Papers. https://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed51.asp

13) Minviel, W. (2023). Les différentes formes du Pouvoir Exécutif en Haïti. ResearchGate. https://www.researchgate.net/publication/373803638_Les_differentes_formes_du_Pouvoir_Executif_en_Haiti

14) Montesquieu, C. de Secondat, Baron de. (1748). De l’esprit des lois. Genève: Barrillot. (Livre XI, Chapitre VI)

15) Pew Research Center. (2019). Laws enacted by the 115th Congress. https://www.pewresearch.org/

16) Pew Research Center. (2021). Laws enacted by the 116th Congress. https://www.pewresearch.org/

17) U.S. Constitution. (1787). The Constitution of the United States. National Archives. https://www.archives.gov/founding-docs/constitution-transcript

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